Se nourrir en 2050
Dans le cadre de Territoire Circulaire et Robuste en 2050, SoluCir a accueilli Cyril Dion pour une conférence exceptionnelle : « Quand la puissance des récits inspire notre territoire ». A l’issue de la conférence du militant écologiste, réalisateur, écrivain, des acteurs des deux Savoie sont venus partager leurs rêves et leurs témoignages autour des 3 thématiques principales du projet : habiter, produire, se nourrir.
Nous vous proposons ici la restitution de l’intervention d’Alexandre Maillet, Raphaël Bouju et Pauline Poydenot sur : se nourrir.
Le rêve
Par Alexandre Maillet,
Consultant, AIR coop
« Aussi bêtement que ça,
je rêve d’un monde où chacun, chacune mange à sa faim,
aujourd’hui, demain et même -pourquoi pas – après-demain.
Je rêve d’un monde où manger n’est plus une variable d’ajustement, /un calcul
mais un plaisir.
Où chacun chacune peut choisir,
où l’accueil autour d’une table devient évidence plus que nécessité.
Je rêve d’un monde où le revenu ne dicte pas la finesse du plat,
ni si ce plat est bon pour le mangeur
et les vivants qui l’entourent.
Un monde où l’aliment sort de la simple logique marchande,
sans publicité criarde pour la malbouffe,
sans poudre de perlimpinpin vendue au kilo.
Je rêve d’un monde où la cuisine se fait locale,
gourmande, métissée.
Et reste loin d’un gruau nutritif de laboratoire façon Matrix.
Je rêve d’un monde où ce que je mange –
ou ne mange pas –
n’est plus un jeu d’effroi, ni de drapeau brandi,
mais un acte de compréhension et de respect.
Je rêve d’un monde où,
s’il doit rester des omnivores,
que la viande retrouve son caractère rare,
presque sacré,
loin d’un bout de plastique ouvert à la va-vite sur 4 tranches d’un rose vulgaire.
Je rêve d’un monde où les fermes ne sont pas transformées en firmes,
où la directrice d’exploitation n’a pas définitivement pris la place de la paysanne, de son collectif et de sa famille.
Je rêve d’un monde où la valeur ajoutée
ne s’égare plus sur la route,
où celui qui sème reçoit davantage
que du temps où quatre centrales d’achat verrouillaient tout.
Je rêve d’un monde où l’on retrouve le chemin de la terre,
Non par contrainte, mais par désir.
où la juste utilisation de nos ressources permet d’éviter d’abimer trop les corps,
et où le poison laisse place aux potions et aux gestes qui guérissent.
Je rêve d’un monde où le vivant d’un sol vaut 1000 dalles de béton.
où chaque goutte d’eau est savourée comme il se doit,
sans craindre la torpeur de l’été,
ni la colère d’une énième crue.
Je rêve de territoires qui se pensent en bassins alimentaires,
comme on imagine un bassin versant,
de territoires conscients de leurs interdépendances et d’élus conséquents.
Je rêve d’un monde où vos enfants soient bien plus connaisseurs des végétaux, des animaux que des logos.
où ils puissent retrouver le chemin de dehors pour s’émerveiller devant une pousse de haricot,
la greffe d’un poirier,
la mise bas d’un agneau,
la récolte d’un miel,
la pressée d’un cidre,
la fabrication d’un pain.
Aussi bêtement que ça,
je rêve d’un monde où chacun, chacune mange à sa faim,
aujourd’hui, demain,
et même – pourquoi pas – après-demain. »
Les expériences
Par Raphaël Bouju,
Fondateur et président, Tous Paysans
« J’ai envie de vous parler de Lucas, paysans au sein du Gaec du Sambec, qui avec son collectif de 9 associés réinvente l’agriculture de montagne en mêlant maraichage, élevages, boulangerie et librairie. J’ai envie de vous dire que Lucas la semaine dernière, il a rencontré Valentin, un ingénieur en reconversion, qui cherche à comprendre le monde agricole et qui voulait donner un coup de main. Du coup, Lucas, Valentin et les autres bénévoles de Tous Paysans, ont passé une journée à construire une clôture fixe pour les brebis. 900 piquets quand même, 2, 5 km. Une épreuve de force lorsqu’on est seul, une belle journée riche, heureuse et un peu fatiguante, lorsqu’on peut compter sur la force du collectif.
J’ai aussi envie de vous parler d’Anne-Claire qui travaille chez Enedis et qui voulait mobiliser ses équipes dans une journée de cohésion avec du sens et des valeurs. Les équipes d’Enedis sont donc allées à la rencontre de Guillaume et Sophie, maraîcher et éleveur de cochon à la Biolle. Ce qui tombait bien dans cette rencontre, c’est que Guillaume et Sophie avaient 5000 pieds de courges à planter et la clôture des cochons à nettoyer. Du coup, Anne-Claire et ses 20 collègues ont pu passer une journée de cohésion au grand air à faire quelques choses de concret tous ensemble.
Je ne résiste pas à l’envie de vous parler d’Anthony et Donatien, 2 passionnés d’arbres fruitiers, qui ont lancé une pépinière pour permettre de récréer des vergers partout sur nos territoires. Pour faire pousser leurs 5 000 arbres, Anthony et Donatien doivent désherber et pailler le sol, sans chimie et sans plastique cela représente 3 semaines de travail. Du coup avec Tous Paysans on a favorisé la rencontre avec Pierre. Pierre est encadrant au sein de CIMME, une structure qui accompagne les jeunes à construire un projet professionnel dans les métiers de la transition. Pierre et sa promo son venue découvrir l’art de faire grandir des arbres fruitiers et ont pu mesurer l’engagement physique de désherber plus de 800 m de plantation.
Enfin, je ne peux pas oublier de vous parler de Théo qui est coordinateur technique au sein de Tous Paysans. Théo, son rôle c’est de préparer les journées Tous Paysans, c’est d’identifier les besoins dans les fermes, c’est de trouver les groupes de bénévoles, c’est le jour J d’accueillir les bénévoles et de veiller au bon déroulement du chantier.
J’aurai pu vous parler de Louise en service civique à Unis-cité, de Françoise, retraité hyper active, de Benjamin étudiant à l’université de Savoie. J’aurai également pu vous parler de Catherine, Clément, Florent, Claire et de tous ces paysans et paysannes qui ont besoin d’un vaste soutien populaire pour faire vivre leur projet.
Mais 2 min c’est trop court pour vous parler de toutes ces belles histoires et de cette force collective, alors je vous invite à venir vivre ces journées Tous Paysans pour vous faire une idée.
Pour revenir sur le rêve d’Alexandre, je ne sais pas si nous serons Tous Paysans en 2050, mais ce dont je suis sûr que nous devrons toujours manger plusieurs fois par jour, et qu’il nous appartient donc dès aujourd’hui de cultiver l’entraide. »
Par Pauline Poydenot,
Bergerie biologique, J’aime Boc’Oh, Fondation La Panière
« Alors moi je vais vous parler de Bintou. Elle est guinéenne et elle a dû quitter son pays, sa famille et ses enfants. Elle a traversé des épreuves qu’aucun de nous ne peut imaginer et puis un jour elle est arrivée à Chambéry… le ventre vide. On lui a parlé de cette cantine savoyarde où l’on peut manger matin, midi et soir, où le chef Sofiane est un magicien qui transforme des tonnes de nourriture que les blancs jettent en délicieux repas qui font chaud au cœur. Là-bas, Bintou a rencontré Thomas, Sarah et toute une équipe. Ils lui ont proposé de venir cultiver des légumes au pieds des tours de Chambéry le Haut. Alors toutes les semaines elle y retrouve ses copines, des déracinées comme elles qui renaissent les mains dans la terre sous les encouragements de Marina l’animatrice jardins de Regie Plus. Au printemps, Marina les emmène semer des plants aux Triandines, vous savez cette ferme où l’on fait du maraichage bio et des paniers, pas seulement pour vous les écolos, mais aussi pour les familles des quartiers. Quand les maraichers ont trop de légumes, ils demandent à Peggy et toute la joyeuse troupe de J’aime Boc’oh de les transformer en délicieuse soupes. Dans cette merveilleuse cuisine les gens viennent des quatre coins du monde et retrouvent gout à la vie en donnant gout à nos papilles. Ils trient, découpent, et mitonnent des fruits boudés par des clients trop pressés, des légumes arrivés en trop grande quantité sous un climat déréglé, ou encore des tomates cultivées par des étudiants enfin déconnectés, … bref là-bas rien ne se perd tout se créé ! Il parait même que l’on y fait des cookies à base de poudre de pain ! Et oui, chez J’aime Boc’oh on récupère les baguettes invendues de la chaine de boulangeries La Panière, une entreprise locale fondée il y a trente ans par Pascal, fils d’une famille de meuniers. Les salariés de La Panière sont vraiment contents de valoriser ces produits déclassés, et puis aussi de se mobiliser au quotidien pour soutenir les acteurs du territoire. Tiens d’ailleurs l’autre jour, Pascal a demandé à Gilles, le chef pâtissier d’aller filer un coup de main à Sofiane, vous vous rappelez… le magicien de la cantine savoyarde, là où Bintou prend ses repas…?
Voilà. La boucle est bouclée…
Vous croyez rêver ? Et pourtant… toutes ces personnes sont les héros et héroïnes de mon quotidien. Si vous lâchez vos post it, vos excels et votre traintrain, je peux vous les présenter … demain ? «
(c)Caroline Moureaux
Retrouvez les rêves et expériences sur les autres thématiques partagées lors de la conférence exceptionnelle de Cyril Dion :
